vous êtes ici – notre newsletter sur l’urbain en état de sobriété
pour retrouver nos éditions précédentes, ici, sous le formulaire

Votre adresse mail*

Votre prénom

Votre nom

---

Newsletter #5 : Travelling without moving 

Cette semaine, voyagez sans bouger ! On vous emmène avec nous pour un tour du monde sans même bouger de votre chaise de bureau ! Pour cette 5ᵉ édition de notre newsletter, nous avons décidé de vous parler de GeoGuessr, le jeu de géographie qui risque de porter un coup à votre productivité (mais promis, c’est pour la bonne cause). Si vous n’avez pas encore découvert ce petit bijou, préparez-vous à dire adieu à vos quelques heures de temps libre. Et pour les pros de la localisation virtuelle, saviez-vous que ce jeu peut réveiller l’urbaniste qui sommeille en vous ? En découvrant des paysages du monde entier, ce jeu invite à réinterroger certains de nos préjugés. 
­ 
Geoquoi ?
­
GeoGuessr est apparu en 2013, alors que son fondateur – le suédois Anton Wallen, cherchait à s’évader de son bureau. Pendant une session d’exploration de destinations inconnues et lointaines grâce à Google Street View, il eut une idée visionnaire : coder à partir de l’API de Google Maps l’interface qui deviendra Geoguessr. Le principe est simple : vous êtes téléporté n’importe où dans le monde (ou presque, on y reviendra) et vous devez retrouver via la Google Map l’endroit précis de votre atterrissage en moins de 2 minutes. 

Depuis, GeoGuessr a bien évolué : abonnement payant, parties gratuites et même des modes compétitifs pour prouver que vous êtes le champion ou la championne de la géolocalisation. Le jeu a eu du succès dès son lancement, mais c’est surtout grâce aux confinements du COVID-19 qu’il a acquis sa notoriété. Sur YouTube et la plateforme Twitch, nombreuses ont été les parties jouées entre amis diffusées en ligne depuis 2020.

En parallèle, GeoGuessr est devenu un support de compétition d’eSport de haut vol, offrant des finales spectaculaires. Pour atteindre ces niveaux de performance, vous devrez vous munir de beaucoup de patience et être doté d’une mémoire hors du commun. Le jeu perd un peu en magie si vous suivez cette route mais les articles et forums détaillant les metas vous permettront de distinguer un pays (voire une région) d’un autre à la couleur de sa signalisation ou à la forme de ses poteaux électriques. 

Cocorico ! Blinky, le champion mondial de GeoGuessr est français. D’autres joueurs, comme l’américan Rainbolt, ont choisi d’exposer leurs talents sur internet en devinant le plus rapidement possible leur emplacement les yeux bandés ou en fondant leur guess seulement sur la nature des sols. Si cette approche par la performance est très impressionnante, nous préférons le format « enquêtes » que propose Tom Davies alias GeoWizard. Ce britannique originaire de Birmingham est un pionnier du GeoGuessrenregistré « grand public ». Il figure également parmi les premiers à avoir quitté l’écran de son ordinateur pour transformer Geoguessr en aventure grandeur nature. 
 
En résultent des « randonnées compétitives » pour relever des défis improbables tels qu’une traversée des Cornouailles en ligne droite ou la réponse à la question que tout le monde s’est déjà posée (non) : peut-on parcourir la ville de Birmingham sans mettre une seule fois le pied sur la chaussée ? Ce regard ludique (et surtout décalé) porté sur la ville nous intéresse particulièrement à l’agence et pourrait même inspirer nos prochaines sorties de terrains. Ces aventures ouvrent des pistes de designs de nos espaces publics, interrogeant la place de la voiture, l’avenir de nos délaissés urbains, les limites entre espaces privés et publics … 
­
­ 
La France moche est-elle si moche que ça ?
­
Il y a quelques mois, le CEREMA publiait EmpCom, une base de données des zones commerciales en France. Passionnés de données ET de « boites à chaussures », nous n’avons pas résisté longtemps avant de nous imaginer organiser des marches exploratoires dans ces espaces. Seulement, avec près de 1 600 zones répertoriées, la tâche se révélait titanesque.

A partir de ces données (et d’un soupçon de QGIS), on a créé notre propre carte GeoGuessr pour explorer la France qui serait devenue moche : celle des zones commerciales. La map est accessible gratuitement (pour peu que vous ayez un compte). Cette exploration « depuis la rue » de notre appareil commercial donne à voir des paysages que l’on pourrait penser standardisés, mais qui révèlent en fait de grandes différences.
 
Bien sûr, certains schémas se répètent, comme les routes départementales cernées par les panneaux publicitaires, les nappes de stationnement à perte de vue ou les architectures monotones et sans âme. A nous de distinguer là une indication sur un panneau routier, ici un détail paysager afin de se repérer sur la carte. Tâche qui devient parfois quasi impossible lorsque nous atterrissons en pleine galerie marchande, où l’uniformité est souvent le dénominateur commun. Mais parfois, l’exploration révèle des surprises, nous obligeant alors à porter un regard différent sur ces zones, offrant tour à tour des ouvertures sur le grand paysage, des centres commerciaux en pierre de taille ou des espaces commerciaux en recomposition. De quoi alimenter les équipes lauréates du Plan de Transformation des Zones Commerciales ?

Ce jeu nous offre un regard neuf sur ces espaces souvent critiqués (pour de bonnes et aussi de mauvaises raisons), oscillant entre banalité et singularité. Et qui sait ? Il pourrait même nous inspirer à repenser des projets locaux à la lumière de nos découvertes sur GeoGuessr.
­
­ 
Se passer de Google ?
­
À l’Agence, on s’efforce autant que possible de privilégier les solutions libres (dans la limite de nos compétences techniques, on ne va pas se mentir). Il faut quand même admettre que la puissance de Google permet une couverture quasi mondiale de Street View, avec de nouveaux pays intégrés au site chaque année. L’année 2023 a (entre autre) été marquée par la fin d’un hiatus entre Google et l’Allemagne, qui pendant 10 ans empêchait les photos de maisons depuis la rue, limitant ainsi la couverture de Street View à une petite vingtaine de villes. Et en 2024, six nouveaux seront intégrés à GeoGuessr (et donc couverts par Google Maps).  

Pour essayer de se libérer de l’emprise du géant américain, il existe des alternatives dites « open » qui en vérité n’ont d’open que l’interface (un bon début certes), puisqu’elles continuent à exploiter les images de Google Street View. Peut-être est-ce le moment de développer un équivalent 100% libre de GeoGuessr, par exemple à partir de Panoramax, réponse libre et française à Street View portée par l’IGN ? [Et si vous cherchez plus largement des alternatives et logiciels open source, ce site répondra à la plupart de vos besoins]

Avant de vous laisser retourner jouer à GeoGuessr (ou autre jeu géographique), nous vous proposons une idée de sortie pour ce weekend. Enfilez vos chaussures de rando, arpentez la zone commerciale la plus proche de chez vous et prenez quelques photos. Nous partagerons vos plus beaux clichés sur nos réseaux d’ici la fin de l’année 😉 
­
Nos recos de la semaine
📺 A regarder : Les mystérieuses vidéos d’un drone entré en Corée du Nord – Le dessous des images – ARTE, 2024 
📻 A écouter : Peut-on “verdir” le Black Friday ?, France Inter, 28/11/24  
📰 A lire : Understanding ‘underconsumption core’: How a new trend is challenging consumer culture, The Conversation, 2024 

---

Newsletter #4 : Libertés Urbaines, Patrick Boucheron  

Pour cette quatrième édition de notre newsletter, Camille vous partage ses impressions sur le dernier ouvrage de Patrick Boucheron, Libertés urbaines, qu’elle a eu la chance de se procurer des mains de Monsieur Boucheron himself aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois qui avaient pour thème : la Ville. 
­
Patrick Boucheron, spécialiste de l’Histoire urbaine (et aussi co-auteur de la cérémonie des JO de Paris 2024, comme quoi on peut être un historien de renom et aimer Philippe Katerine), nous embarque dans son nouveau livre Libertés urbaines (2024), pour une exploration fascinante de la ville comme espace de liberté. Professeur au Collège de France depuis 2015, il a fait des villes médiévales son terrain de jeu intellectuel. Son objectif ? Décoder comment les pouvoirs politiques se structurent en s’appuyant sur l’évolution des espaces urbains. Pour lui, c’est clair : les villes ne sont pas seulement des lieux de vie, elles sont le reflet du pouvoir. Et ce pouvoir, il se construit à travers chaque rue, chaque place, chaque bâtiment.
 
Avec Libertés urbaines, Boucheron invoque un adage médiéval qui résonne encore aujourd’hui : « l’air de la ville rend libre ». Il s’agit de la liberté politique, celle qui naît quand des citoyens prennent leur destin en main. En Italie médiévale, les communes étaient de véritables laboratoires d’expérimentation politique – des modèles d’autogestion avant l’heure.
 
Boucheron nous invite à revisiter ces modèles pour questionner nos libertés actuelles et pourquoi pas, imaginer un nouvel avenir urbain. Comment l’Histoire peut-elle nous inspirer à construire des villes plus libres ?  Bien qu’il soit difficile de dire que l’Histoire se répète toujours de la même façon, ce livre invite à s’interroger sur les dynamiques de notre ville contemporaine. 
 
Venez avec nous faire un détour dans les méandres de la ville médiévale.  
­
­ 
« Stadtluft macht frei nach Jahr und Tag »
­
Comprenez « l’air de la ville rend libre » (on vous en parlait lors de la dernière newsletter). Derrière cette formule apparue au XVe siècle – inspirée de l’allemand et popularisée par Max Weber – se cache une promesse de liberté, et pas n’importe laquelle : une liberté politique et citoyenne. À cette époque, la ville semble être un havre pour ceux qui cherchent à échapper à la servitude. On y trouve des serfs qui, en foulant le pavé, voient leur destinée changer. La ville devient alors le lieu où l’individu peut enfin exister autrement, loin des chaînes. Certes, la peste rôdait et les conditions de vie n’étaient pas exactement dignes d’un rêve, mais la ville promettait (du moins en théorie) un bel espace de liberté.
 
Mais au-delà des serfs et de leurs nouvelles vies, cette idée de la ville comme espace de communauté prend racine comme si respirer le même air, partager le même espace, permet de créer des liens. Ce n’est pas juste une question de proximité géographique : la ville permet de tisser un projet commun, une destinée collective. Alors que le lien social est une pièce incontournable de la résilience urbaine, cette perspective d’un espace partagé, fait pour tous, semble plus que jamais essentielle. 
 
Et d’ailleurs, si l’Italie médiévale, avec ses communes autogérées, pouvait nous inspirer ? Un modèle d’autogestion à méditer pour nos propres expériences politiques ! On observe déjà quelques signes prometteurs, comme l’émergence de tiers-lieux autogérés, à l’image de l’Hermitage dans les Hauts-de-France, qui défend un nouveau modèle social.
­
­ 
La commune et l’idée d’émancipation 
­
Ah, la « commune » ! Rien que le mot évoque l’effervescence du XIXe siècle, avec ses grandes idées de liberté et d’émancipation citoyenne. Mais en réalité, cette idée de la commune remonte bien plus loin. Dès les XIe et XIIe siècles, en Italie, les citoyens de dizaines de villes se sont levés pour combler le vide laissé par des autorités politiques défaillantes. Face à l’absence de dirigeants dignes de ce nom, ils ont décidé de s’organiser eux-mêmes, poussés parfois par une élite urbaine qui voyait là une belle occasion de s’inviter dans la danse du pouvoir.
 
Ces villes italiennes devenaient alors des carrefours de rencontres. Un vrai lieu de brassage où tout le monde pouvait échanger et débattre de l’avenir collectif de la cité. En prenant les rênes, les citoyens expérimentaient une forme d’autogestion bien avant l’heure, testant le partage du pouvoir et la construction d’un projet commun. C’était une bouffée d’air frais, un espace où chacun pouvait (enfin !) influer sur sa destinée.
 
Ce n’est sûrement pas un hasard si quelques siècles plus tard, lors des mouvements de révolte en 1870, l’idée de la commune refait surface. D’abord avec l’apparition de la commune de Lyon, suivie de très près par la fameuse Commune de Paris (mais également de Toulouse, Saint-Étienne ou encore Bordeaux). La Commune s’inscrit alors comme un rêve collectif : une république fondée sur la démocratie directe et la participation des citoyens et citoyennes. 
 
La ville devient ici bien plus qu’un simple lieu de vie : elle se mue en un espace d’émancipation et de transformation sociale. 
 
Et si, aujourd’hui, on s’inspirait de cet esprit de la commune pour repenser notre rapport à la ville ? Un modèle d’autogestion, d’implication directe, qui résonne étonnamment avec nos envies d’une démocratie plus participative. Libertés urbaines nous amène à nous questionner sur le sens de la participation citoyenne contemporaine. Il faudrait démocratiser l’action publique en questionnant le fonctionnement des institutions, souvent peu réceptives aux contributions citoyennes. 
­
­ 
Quelles pistes pour notre avenir urbain ? 
­
Alors, à quoi pourraient ressembler les libertés urbaines de demain ? Patrick Boucheron nous rappelle une chose essentielle : le passé n’est jamais vraiment révolu, il persiste dans notre mémoire et reste une matière à penser pour nos projets futurs. Historiquement, l’émancipation a toujours été liée à la création d’espaces publics, où l’on peut débattre, s’écouter, et trouver des accords. Mais attention : plus ces places publiques se transforment en monuments figés, plus les citoyens en sont éloignés, et voilà la dépolitisation qui s’installe.
 
La « monumentalité urbanistique » – vous savez, ces grandes statues et ces bâtiments imposants – n’est pas qu’une question de décor. Elle marque souvent une forme d’assignation sociale, où la place de chacun dans la ville est prédéfinie, presque immuable. Et dans un contexte actuel où la défiance envers la politique bat son plein, cette réflexion est d’autant plus pertinente. Qui aurait cru, par exemple, que le rond-point, ce simple carrefour utilitaire, deviendrait un haut lieu de rassemblement et de contestation avec les Gilets Jaunes ? Sans hiérarchie, sans domination apparente, le rond-point symbolise un espace d’égalité et de libre expression, loin de l’autorité figée d’une place monumentale.
 
P. Boucheron soulève aussi un point piquant : notre rapport au mobilier urbain et à l’architecture est aujourd’hui marqué par une sorte de design autoritaire. Les bancs anti-SDF, les espaces délibérément inconfortables, tout est pensé pour nous guider dans des comportements précis, et limiter nos mouvements comme nos esprits. On ne fait plus la ville, on la subit. En cessant d’assigner des formes strictes à des fonctions précises, on permet enfin aux espaces urbains de s’ouvrir à tous, sans mode d’emploi ni étiquette. Une ville, où les bancs ne sont plus posés uniquement pour s’asseoir et les places seulement pour circuler, invite chacun à s’approprier librement l’espace et à redécouvrir l’aventure urbaine. 
 
Finalement, pourquoi limiter un espace à un seul usage ? Il est grand temps de sortir de cette vision rigide pour redonner vie à « l’aventure des libertés urbaines » – un espace où chacun aurait le pouvoir faire et pourrait inventer, et même, osons le dire, désobéir. Un appel à la créativité collective pour dessiner une ville plus libre, où chacun pourrait pleinement participer et s’épanouir.
 
Libertés urbaines fait écho à nos réflexions chez Territoire Circulaire. Nous en retenons le besoin de libérer les usages, notamment au bénéfice des acteurs de la transition, de l’Économie Sociale et Solidaire et de l’égalité, au service d’une véritable résilience urbaine. C’est un appel aux collectivités à déverrouiller les espaces : publics, bâtis, mentaux … et à mieux comprendre nos besoins. Car des lieux figés et contrôlés empêchent l’émergence d’un autre imaginaire, plus optimiste et propice à une véritable transformation urbaine. Monsieur Boucheron (en reprenant Braudel et son Modèle Italien de 1974) rappelle l’avantage qu’auraient les villes [le lièvre] sur l’Etat [la tortue], en matière de propositions et d’adaptations. De là à dire qu’il faudrait mobiliser l’urbain comme front pionnier de la transition et de la sobriété … Sans doute dans une prochaine newsletter ?
 
–> Pour se procurer l’ouvrage et aller plus loin : Libertés urbaines, Patrick Boucheron, CNRS Editions, 2024
­
Nos recos de la semaine
📺 A regarder – Cette bibliothèque est unique en France., Axolot, 2024 
📺 A regarder aussi –  J’habite dans un centre commercial, C dans l’air, 2024 
📺 Encore à regarder – Traverser TOUT Paris QUE sous terre !! (via des tunnels secrets), Hit the Road, 2024 

---

Newsletter #3 : Quand l’angoisse de la ville a le rôle principal 

Chez territoire circulaire, nous éprouvons un attrait particulier pour le cinéma de genre et pour les représentations extrêmes de la ville. En conférence de rédaction, sans doute à cause de nos lunettes déformantes, nous nous sommes trouvés bien en peine de proposer des visions positives de la ville à l’écran.
 
Serions-nous tous des pessimistes de l’urbain en puissance ? Dans cette troisième édition de la newsletter (au passage merci pour votre soutien et bienvenue aux nouvelles et nouveaux), profitons d’Halloween pour un petit tour des représentations cinématographiques de nos villes. Et tentons de comprendre pourquoi, surtout à l’écran, l’urbain et son futur semblent toujours catastrophiques. 
L’urbain du quotidien, théâtre idéal de la violence et de l’épouvante 
­
A l’écran, la ville est souvent l’endroit où tout va mal. Rues désertes ou mal famées, gratte-ciels menaçants et autres sous-sols sombres où l’on ne s’aventure qu’à ses risques et périls … ces tropes alimentent depuis plus d’un siècle le cinéma de genre, qui s’évertue à faire de la ville une machine à cauchemars. A l’heure où nous écrivons ces lignes, 56 % de la population mondiale est urbaine, soit 4,4 milliards de citadins. Et pour 2050, on estime que cette proportion atteindra les 70 % d’urbains. De quoi projeter pendant encore quelques années des représentations terrifiantes sur nos environnements urbains.
 
Mais, comme le dirait Stephen King, il n’y a rien de mieux que de faire face à ses peurs pour les exorciser. Cela explique probablement pourquoi le cinéma et la littérature aiment tant plonger leurs personnages, et par extension leurs spectateurs, dans des visions souvent apocalyptiques de la ville : crime, violence, solitude, futur dystopique … Et le cinéma (a fortiori d’horreur) ne manque pas d’utiliser la ville pour attiser nos peurs les plus profondes. 
 
Cette tendance a pris un tournant notable avec l’apparition du slasher, genre de films où un tueur mystérieux élimine ses victimes une par une – bien souvent dans les suburbs, paisibles quartiers résidentiels nord-américains. Halloween (Carpenter, 1978), souvent désigné comme le premier slasher, met en scène le tueur Michael Myers se glissant discrètement derrière les haies impeccablement taillées puis dans le magnifique jardin individuel où les draps sèchent au vent. Ici, le rêve pavillonnaire se transforme vite en cauchemar et la promesse d’une vie tranquille s’effrite devant chacune des apparitions menaçantes de Myers. La banalité du décor, avec ses ruelles calmes et ses pelouses bien entretenues, devient alors une toile parfaite pour nous faire frissonner.
 
Parfois, la menace vient littéralement de l’intérieur. Dans Poltergeist (Hooper, 1982), la famille Freeling découvre que leur belle maison en banlieue n’est pas seulement hantée mais qu’elle semble être leur agresseur. Le père, pourtant promoteur de ce rêve pavillonnaire, ne peut que constater les failles de son idéal, tandis que les murs qu’il vantait se referment peu à peu sur lui.
 
Et que penser de l’inquiétante étrangeté qui émane d’un lotissement fraichement livré dans Vivarium (Finnegan, 2019), où la familiarité des lieux laisse peu à peu place à un sentiment d’enfermement à perpétuité ? Derrière cette hantise se profile une critique de l’urbanisation à outrance des banlieues américaines de l’après-guerre, où l’on découvre que même les rêves les plus confortables peuvent virer au cauchemar. 

En nous plongeant dans des environnements familiers, ces films réussissent à rendre l’horreur proche de notre quotidien, comme si le danger pouvait soudain surgir au coin de notre propre rue. Alors que 30% de la population française serait périurbaine, il est aisé de se retrouver dans ces visions cauchemardesques.
­
En ville, la violence n’est pas que physique
­
Cette violence est également sociale et symbolique. Si selon l’adage du Moyen-Age  « l’air de la ville rend libre » (on en reparle dans une prochaine newsletter !), tous les individus ne sont pas logés à la même enseigne. 
 
La ségrégation spatiale fait rage et sert souvent de décors aux films d’épouvante et d’anticipation. Les immeubles et tours des grandes villes nous promettaient un idéal de vie communautaire … du moins en théorie. C’est suffisamment rare pour être souligné mais deux productions françaises se sont aventurées sur ce terrain.
 
Vermines (Vanicek, 2023) propose un cauchemar pour arachnophobes ayant pour cadre les Arènes de Picasso à Noisy-le-Grand (93). Cet ensemble emblématique des villes nouvelles des 80’s, délire architectural selon Portzamparc, avec sa façade en toile d’araignée, fait parfaitement écho à l’angoisse de ce huis clos. 
 
Dans La Tour (Nicloux, 2022), une épaisse brume noire enferme les habitants dans leur immeuble, les forçant à cohabiter tout en gérant les tensions entre les différentes communautés peuplant ces logements sociaux. La solidarité initiale s’effrite bien vite face aux conflits et à l’horreur du dehors. 
 
Si l’on quitte quelques instants le registre horrifique pour celui de la dystopie, les représentations sont encore plus nombreuses. Parmi les productions les plus récentes, The Kitchen (Kaluuya & Tavares, 2024) donne à voir un Londres dystopique dans lequel le logement social n’existe plus. Une communauté résiste aux tentatives d’expulsion de la Mairie de Londres au sein de The Kitchen, ville informelle dans la ville dominée par les capitaux financiers, où les plus précaires tentent de subsister. [Nous préférons vous prévenir, ce film flirte avec le nanard malgré un budget très conséquent et des décors réussis. Consacrez plutôt les 110 minutes que vous vous apprêtiez à passer devant cette exclu Netflix à l’une des nombreuses autres recommandations que l’on présente]
 
Pavillons, tours ou supermarchés (comme dans The Mist, Darabont, 2007), ces décors familiers installent en nous une peur profonde, nourrie par une critique sous-jacente d’un vivre-ensemble qui finit toujours par se fissurer.  
­
« Nous percevons le monde par les villes que nous habitons »
­
Si vous avez déjà grimpé un escalier sans fin (on ne sait jamais ?) ou observé une vue imprenable depuis le sommet d’un gratte-ciel (déjà plus probable), vous savez que la hauteur peut être angoissante. 
 
Au cinéma, cette sensation atteint des sommets (elle est facile), surtout dans les films américains qui mettent en avant des villes incontournables comme New York, Chicago ou Los Angeles. Dans le tout premier King Kong (1933), le gorille le plus célèbre du cinéma n’a d’autre choix que de grimper jusqu’au sommet de l’Empire State Building, transformant cet édifice mythique en un cul-de-sac vertigineux. La scène, qui se termine par une chute tragique, symbolise bien les craintes de l’époque : New York est en pleine expansion, et l’inauguration de l’Empire State Building en 1931 marque le début de la course à la hauteur. Mais comme le montre l’histoire de Kong, au sommet, la seule direction possible… c’est la chute. Une sorte de référence aux rêves de grandeur des années 1930, qui se sont vite fracassés contre le mur de la Grande Dépression de 1929.
 
Le philosophe Paul Virilio parlerait d’une « impasse en altitude », concept qu’il explore dans Ville panique (2004). Selon lui, ces bâtiments gigantesques ne mènent qu’à des impasses psychologiques et physiques, rendant la ville aussi oppressante qu’impressionnante. 
 
Hollywood a d’ailleurs largement repris cette vision en poussant à son extrême l’idée de hauteur : Blade Runner (Scott, 1982) etMatrix (Watchowski, 1999) dépeignent des mégastructures plongeant souvent leurs habitants dans une obscurité perpétuelle. Cet urbanisme de l’angoisse, où les immeubles deviennent des murs, prive de lumière naturelle et renforce la sensation d’étouffement. Dans le cultissime Dark City (Proyas, 1998), le jour a même laissé place à une nuit constante. Les personnages errent donc dans une obscurité permanente. Un bon moyen de faire des économies sur la facture d’éclairage – sobriété oblige – tout en mettant en lumière notre angoisse existentielle du retour aux ténèbres.
 
Cet attrait pour les villes sombres est l’héritage d’une tradition bien plus ancienne, teintée du romantisme noir du XIXe siècle, où des écrivains comme Edgar Allan Poe utilisaient la ville comme toile de fond pour évoquer l’angoisse et le mystère. Dans l’Homme des foules (1840), Poe déclarait d’ailleurs que « nous percevons le monde par les villes que nous habitons ». De nos jours, le jeu vidéo perpétue cette fascination pour les dark cities dans des productions comme la série des Dark Soulsou Bloodborne des studios From Software, aux architectures cauchemardesques directement inspirées du patrimoine historique urbain européen (et de H.P Lovecraft).
 
Cette conception de la ville n’est a priori pas spécifique aux sociétés occidentales. La culture japonaise transforme les villes du futur en terrifiantes mégapoles où la technologie et l’humain se confondent dans un décor bien souvent post-apocalyptique. Sur papier comme à l’écran, les mangas Akira (Otomo, 1982-1990), Gunnm (Kishiro, 1990-1995)ou plus récemment Blame! (Nihei, 1998-2003) donnent à voir de véritables labyrinthes verticaux, tantôt surpeuplés, tantôt vides d’hommes. Et c’est sans parler du cinéma Hongkongais, qui s’est régulièrement nourri de décors naturels à la limite de la dystopie pour repousser ce qui est montrable à l’écran. La décence nous empêche de parler de la fameuse Catégorie III dans cette newsletter. Mais pour un aperçu de ce que Hong Kong avait à offrir en guise de cadre oppressant, nous vous proposons cette excellente vidéo de Dami Lee sur l’histoire de Kowloon City. 
 
Vous l’aurez compris, les représentations angoissantes de la ville, dense, écrasante et hostile ne manquent pas. Cependant, le tournant des années 2000 apporte son lot de nouvelles préoccupations dans le cinéma et la littérature. Place à « l’éco-pessimisme », qui pris avec la peur des conflits armés post 9/11, constituent les ingrédients d’un inquiétant cocktail à destination de la Gen Z. Vous rêvez d’en savoir plus ? Faites nous signe, car cela pourrait faire l’objet d’une future newsletter. 
­
­Pour des visions positives de notre adaptation !
­
La représentation de la ville au cinéma, dans la littérature et maintenant dans le jeu vidéo est comme un bon vieux thriller : elle s’alimente de nos angoisses les plus profondes sur l’avenir de l’urbain. Et au moment où l’on doit se préparer à une France à +4°C, préparez-vous à voir fleurir de nouveaux cauchemars climatiques dans nos représentations. Un tsunami en Normandie, un accident de l’EPR de Flamanville transformant Caen et Cherbourg en décors de film post-apocalyptique, films de fantômes prenant pour cadre nos millions de logements vacants … Nous serons probablement les témoins d’un nouveau genre d’angoisses, proches de nous et pourtant encore inconcevables. A moins que, collectivement, nous n’arrivions à proposer une vision enthousiasmante et positive de notre adaptation.
 
Cela pourrait commencer chez les urbanistes par promouvoir largement la sobriété, révéler les usages et les besoins qui émettent le moins de GES, réenchanter le logement collectif …
 
Nous fermons ici cette sombre parenthèse pour vous inviter à vous (re)plonger dans l’une des œuvres mentionnées ci-dessus. Vous l’aurez compris, nous avons dû prendre quelques raccourcis en ne retenant qu’une poignée de fictions emblématiques. Nous n’avons pas non plus parlé de la « ruralité », qui a pourtant ouvert tout un pan du cinéma de genre (coucou The Texas Chainsaw Massacre de Hooper, les Chiens de Paille de Peckinpah ou Deliverance de Boorman). Mais s’il y a parmi vous des adaptes du Solarpunk, ou que vous connaissez des contre-exemples à notre vision (qui peut paraitre catastrophiste ?), n’hésitez pas à nous le faire savoir !
­
Nos recos de la semaine
📖 A lire – Au-delà de Blade Runner, Mike Davies, 2006 
📖 A lire aussi – Changement climatique : nous ne sommes pas prêt⸱es !, Oxfam France, 2024
📺 A regarder – What stops rain from flooding your city?, Andrew Lam, 2023

---

---

Newsletter #1 : Ça y est, on est là ! 

Nous sommes ravis de vous présenter la première newsletter de Territoire Circulaire ! L’exercice est nouveau pour nous, mais après quelques semaines (mois) d’hésitations, de recherches et d’idées mises de côté, en voici la première édition !

Qui sommes-nous ?
­
Avant de commencer, quelques informations sur Territoire Circulaire : fondée en 2021 par Thomas Charrier, nous sommes une agence d’urbanisme indépendante à Caen. D’ailleurs, nous sommes très heureux de vous annoncer que nous avons récemment emménagé dans nos nouveaux locaux à la suite à l’agrandissement de l’équipe ! 
 
Depuis que nous nous sommes installés, nous avons notamment lancé notre expérimentation portant sur les lieux de commerces, la sobriété et la marchandise. En effet, ces dernières semaines (que dis-je ces derniers mois), nous travaillons grâce au soutien de l’ADEME à porter un regard différent sur l’urbanisme commercial, réinterrogé à l’aune des enjeux de sobriété. Nous parlons ici de sobriété immobilière, de sobriété foncière et plus largement de la sobriété « sobre », celle qui consiste à interroger ses besoins avant d’émettre des GES. 
 
Est-ce que le secteur du commerce pourrait générer moins de carbone et autres émissions néfastes sans nuire à l’attractivité de nos territoires ? Osera-t-on aller jusqu’à interroger la sobriété désirable ? Nous ne répondrons pas à ces questions aujourd’hui mais voilà un aperçu du fil rouge de nos travaux en cours.
­
­Not another newsletter ?
­
­Cette newsletter est pensée comme notre espace de liberté. Nous voulons y parler de la ville, des territoires et de lieux, en les célébrant quand ils sont sobres, en les critiquant quand ils ne le sont pas. Face à l’avalanche de contenus et de réalisations sur le sujet de l’urbain sobre – il était temps n’est-ce pas – nous souhaitons aussi partager les bons outils pour être vigilants lorsqu’il s’agit de mettre une information de votre cerveau [cela ferait un super sujet pour une prochaine newsletter non ?].
 
Et au passage, pourquoi ne pas vous partager les curiosités marquantes que nous croisons chaque jour ? Parfois piquants, parfois hors du temps, nous souhaitons sortir des sentiers battus en convoquant des médiums avec lesquels vous serez sans doute peu familiers (à moins que vous ne connaissiez déjà les influenceurs « centre commerciaux » sur TikTok, mais là je ne peux plus rien pour vous). 
 
Nous souhaitons aborder la ville sous tous ses angles, ce qui implique d’aller faire des détours du côté du cinéma, de la pop-culture et des anecdotes d’actualités. L’urbanisme sur Youtube ? C’est possible ! La ville du futur se dessine-t-elle sur Instagram ? En tout cas on en a vu les esquisses. Loin d’être simplement récréatif (même si l’on ne va pas rechigner à regarder des films pour le travail !), ce bulletin nous permet de saisir des visions et des questionnements urbains, contemporains ou non.
­
Nos recos de la semaine
­
📖 A lire – Ecolos, mais pas trop … de Jean-Baptiste Comby
📺 A regarder – Conférence gesticulée : L’écologie sans lutte des classes, c’est du gaspillage par Anthony Pouliquen et Jean-Baptiste Comby
🎤 A écouter – La France Discount sur France Inter